Elodie Mandel est patronne du pôle féminin d’Unify. Elle dirige les équipes de Auféminin.com, Beauté Test et Paroles de maman.
Un des casse-tête quand on pilote un site web, c’est celui de la longueur de chaque contenu : news, enquête long form, témoignage, et l’idée derrière la tête produire du contenu avec un ROI optimal… Parmi les éléments de l’équation : le nombre de contenus à produire chaque jour, les moteurs de recherche à séduire (Google en particulier), les indicateurs de suivi de performance classiques (sessions, Pages Vues, Visiteurs Uniques), les KPI de monétisation (eh oui, il y a plus de blocs pub sur un article long que sur une news, sur un diaporama avec beaucoup de photos que sur un mini)… Vous prenez tous ces “ingrédients”, vous le mettez dans le shaker des contraintes habituelles d’un éditeur et vous obtenez… une migraine !
Avant de sauter sur le Nurofen, voici quelques éléments de rationalisation pour planter le décor :
La longueur du contenu en fonction de chaque objectif
Que vous soyez journaliste, éditeur, directeur marketing, data scientist ou directeur monétisation… vous ne regardez pas forcément pas les mêmes indicateurs et pourtant. Par exemple, le journaliste ses audiences, la Data les abonnés et ou logués, la programmatique les revenus… Parmi les enjeux de l’éditeur, concilier ces différents indicateurs.
Avant les Registrations Walls, l’équation était assez simple : un contenu “pour Google News” ça passait à partir de 1200 signes, pour Discover, un 2000 signes bien construit avec un titre accrocheur et bien pensé pour le story telling faisait le job à condition d’avoir un site optimisé techniquement, et d’avoir travaillé la légitimité de votre site par catégorie. Bref, pas besoin de produire très long pour faire de grosses audiences et récolter des CTR à + de 10. Pour les contenus SEO longue traîne, des outils permettent aux contents managers d’étudier la concurrence et de déterminer (grosse maille) quel est le nombre de mots à produire pour se positionner sur tel ou tel mot clé.
Mais ça, c’était avant…. non pas que le SEO ne soit plus important pour les sites web mais parce qu’en 2023 l’enjeu c’est certes l’audience, mais davantage l’engagement et la monétisation de ces audiences. D’ailleurs beaucoup d’éditeurs connaissent aujourd’hui une stagnation voire une baisse des sacro saintes audiences… et pire une baisse des RPM (revenu pour mille pages vues, via la pub) ! La fin programmée des cookies tiers change évidemment la donne. L’occasion peut-être pour ces grosses machines en pleine crise de croissance de changer de modèle. L’objectif : produire du contenu avec un ROI.
Comment les stratégies de membership rabattent les cartes
Avec les Data et Paywalls (le fameux membership sur lesquels tous les groupes médias s’échinent), les éditeurs se confrontent face à de nouvelles questions. De plus en plus de médias s’y convertissent… Un retournement de situation après une époque où “cacher le contenu” était vu comme un risque de faire fuir les users, d’augmenter les taux de rebond et de perdre des revenus (liés à la pub dans les contenus désormais cachés).
Désormais le graal, c’est le Lead, choper les noms, prénoms, mails de ces fameux users, les convertir de visiteurs anonymes et volatiles en participant d’une communauté.
L’enjeu ? Faire revenir les lecteurs sur le site, les faire consommer beaucoup de pages et souvent, les fidéliser et leur proposer des services, des produits, etc. Et pour cause, un utilisateur logué est X fois plus profitable qu’un utilisateur volatile… et faute d’utilisateurs logués, mission impossible de lui proposer demain des services payants à forte valeur.
Du court et catchy on dit oui… même en mode paywall
Avoir une marque forte, ça peut aider… mais ça ne suffit pas d’être Le Monde ou Paris Match. Avoir des contenus exclusifs, pas vu ailleurs. Prenez La Lettre A, le « Voici » de la presse pro avec ses titres accrocheurs ultra catchy. Pas de fioriture, on va dans le vif du sujet.
Du scoop, des titres chocs et un paywall très très haut : comprenez peu de contenus disponibles en accès libre. Ici la valeur c’est le scoop, l’info brute. Ici 281 mots, un article donc très court, mais d’une valeur sans égale. La recette est diablement efficace. Si vous êtes accro aux potins des médias, vous avez sans doute déjà souscrit un abonnement.
Le contre exemple de cet article très court et avec paywall, prenons le traitement des faits divers chez La Dépêche, la Voix du Nord ou Le Dauphine Libéré… je dois vous l’avouer : j’adore les faits divers, le sens du récit, du détail. Un conte moderne et souvent horrifique qui fait palpiter.
Prenez le feuilleton de janvier : Leslie et Kevin, une disparition mystérieuse, une concurrence entre le sites d’infos, les portails généralistes, chaque jour un rebondissement qui rend addict et des visites à gogo. Et qui tire son épingle du jeu ? La PQR.
Ici les résultats Google où contenus ouverts et paywall se côtoient (la preuve que oui, c’est possible d’être bien référencé avec un wall !)
Ce qui fait sa valeur par rapport aux contenus en accès libre : le sel propre à l’enquête de terrain. Ouest France apporte un contenu unique. Les plus patients attendront le lendemain pour avoir un résumé sur les sites de BFM TV ou sur les portails. Ils feront sans doute des milliers de clics sur Google Actu et Discover, mais devinez qui remporte le gros lot du membership ? Ici qualité et exclusivité du contenu / récolte de leads / et audiences vont de pair, c’est assez rare pour être souligné.
Longueur de contenus et monétisation
Qu’est-ce qui rapporte le plus ? 1 article avec une vidéo qui cartonne sur Discover ou un diaporama ? Autre version du « Tu préfères 1 abonné ou 48 000 pages vues » ? Le fameux choix cornélien (on aurait pu complexifier les choses en ajoutant le content marketing, mais ce sera pour un autre papier…)
Le problème c’est que le plus souvent ce ne sont pas les mêmes contenus qui permettent d’atteindre ces deux objectifs : faire beaucoup d’audience ou convertir. Et pour complexifier le tout, ces infos ne sont pas toujours transparentes dans l’entreprise, divisées entre les pôles audience, les pôles marketing et l’édito qui perdent encore trop de temps à se faire la guéguerre des chiffres. Un petit message aux DG en passant…
Pas la peine de taper sur les doigts des journalistes, mieux vaudrait évangéliser au-delà des audiences sur la rentabilité de leurs contenus (eh oui ce n’est pas sale). RPM Sessions ou RPM Pages vues selon les écoles, concrètement on l’obtient en divisant les revenus par les sessions ou les PV et en multipliant par 1000. Le hic c’est que chaque PV ne génère pas les mêmes revenus publicitaires selon qu’il est vendu en direct par l’éditeur ou par la programmatique, c’est pourquoi on tient compte uniquement du revenu programmatique pour un calcul plus juste.
Avec ce type de raisonnement, les articles avec vidéos s’en sortent beaucoup mieux (les RPM étaient bien plus élevés) que les contenus de type diaporama sans vidéo et ils sont plus rapides à produire.
L’autre élément à prendre en compte c’est le nombre d’emplacements publicitaires par contenu : pour un article classique hors wall, ou un diaporama, plus l’article est long plus il y a de pub : par exemple entre le chapô et le paragraphe 1 puis tous les deux paragraphes
Un élément change la mode ces derniers temps, le fameux « Lire la Suite », qui cache une partie du contenu mais permet aux éditeurs d’obtenir un Minimum Garanti (MG) négocié avec l’acteur pub, non négligeable.
Longueur de contenu, le point de vue du journaliste
Beaucoup de journalistes ont été perfusés, comme moi, à la technique de la pyramide inversée : en deux mots donner l’info en début du papier, puis élargir l’angle.
Si votre article est concerné par une stratégie de membership ou par une stratégie de diffusion de contenus chez des partenaires comme Yahoo, c’est une vraie révolution copernicienne, l’apprentissage d’une autre manière d’écrire, et de penser la construction du contenu. Donner envie, travailler son attaque, son chapo bien sûr, faire monter le désir et garder le meilleur pour les abonnés. Eh oui le maître mot : les chouchouter !
Et là la question du placement du wall est clé : pas trop tôt sinon le risque est de ne pas envie suffisamment, ni trop bas, sinon il n’y a plus d’intérêt à l’abonnement. Au final, si vous voulez garder votre abonné, il doit en avoir pour son argent !