Identifier les besoins des lecteurs, adapter les formats, trouver le bon prix, faire de la rétention… les experts en marketing média nous donnent leurs trucs.
Le festival The Audiencers du 21 novembre 2024 a réuni la crème des directrices et directeurs marketing numériques des médias français (et pas que).
Ces derniers ont eu la bonne et sympathique idée de partager leurs meilleures pratiques d'acquisition et de monétisation d'audience. Je les résume en ces 10 commandements :
1. Connais ton audience
Les Echos, représentée par Violaine Degas, ont créé pas moins de 12 personas à partir des études lecteurs qu'ils possédaient sur des publics à la fois B2C et B2B.
Les personas très précis détaillent leurs centres d'intérêt, mais aussi leurs canaux et temporalités d'information privilégiés.
Ceci permet de mieux cibler les offres commerciales et les messages marketing adressés à chaque public. Ne pas aligner les 50 avantages de la page d'offres, quand seuls trois concernent la cible : c'est dissuasif, car cela signifie que 47 contenus sont inutiles !
S'agissant des messages marketing, mettre en avant les rubriques start-up, tech et innovation pour tel persona, ou au contraire les grandes tendances du marché financier pour tel autre.
L'étape suivante : garder quatre ou cinq personas pour aider la rédaction à identifier les besoins et priorités de ses publics. Et vérifier au quotidien qu'un sujet s'adresse bien à quelqu'un ! Sinon, il faut revoir l'angle, le format, voire le sujet lui-même.
Les Echos sont même allés plus loin en créant leur propre panel de 4000 abonnés (60%) et prospects (40%) via la plateforme Alida. Les jeunes et femmes sont sous-représentées, mais le groupe y travaille !
Ceci leur permet de les interroger régulièrement via des petits quiz, études, vidéos avec eux ou même de discuter un quart d'heure avec eux pour mieux identifier leurs besoins et adapter leurs produits éditoriaux (formats, canaux de diffusion, timing de publication)?
2. Mesure l'engagement réel sur les contenus
Définir un score d'engagement. Plusieurs intervenants ont évoqué le classique indice RFV (récence, fréquence et volume) qui permet de déterminer la performance éditoriale des contenus produits, en mélangeant des critères quali et quanti.
Dorothée Fluckiger de Prisma ajoute à la récurrence de visites par mois la durée moyenne des sessions.
Romain Lhote de L'Equipe pondère cet indice RFV par la valeur journalistique des sujets. Ceci permet d'inclure la valeur d'image ou l'intérêt sociétal d'un sujet (personne ne lit ce sujet sur la cause des femmes malgaches, mais on est heureux de s'associer moralement à ceux qui la défendent). Ce, pour tempérer la suppression pure et simple des articles fantômes.
L'Equipe tempère aussi l'indice par le rendement publicitaire des sujets. Là c'est le contraire, si les annonceurs sont friands d'un sujet qui intéresse peu, il n'y a pas de raison de ne pas le faire. Ces revenus financeront d'autres sujets plus populaires.
Les Echos eux, ont mis en place un système pour évaluer “Le quality Read” auprès de leur panel. Il s'agit d'un dispositif technique qui mesure jusqu'où l'utilisateur scrolle, combien de temps il passe sur la page. Il en résulte un indice d'efficacité moyen qui permet d'évaluer la qualité de l'attention des articles.
Cet indice est combiné à la performance d'audience quantitative (nombre de pages vues), pour déterminer les axes d'optimisation éditoriales à chaud ou à froid.
A chaud :
Ces indicateurs permettent d'adapter la production en temps réel (changer le,titre, le chapô, ajouter des liens de recirculation, mettre en avant l'article sur les homes des sites ou des réseaux sociaux…)
A froid :
Dégager des tendances en termes de formats ou de besoins servis aux lecteurs.
3. Ne parle pas d'en haut, surtout si tu t'adresses à la GenZ
C'est le conseil de Lisbeth Nizet de MediaHuis. La nouvelle génération qui sont nos futurs lecteurs et clients veut qu'on l'associe à la discussion.
“Ne me parle pas d'en haut, mais rend-moi plus intelligent” et respecte les créateurs de contenus pour qui j'ai de l'affection.
Autres conseils :
- N'édulcore pas l'information, mais propose-moi des solutions (journalisme constructif de Reporters d'Espoirs ou JSN
- Sois sincère, y compris dans tes failles et erreurs
- Rend-moi des services pratiques
- Inspire-toi de ces marques médias : Brut, TLDR, Volv, Zetland
4. Bâtis ta communauté
Après avoir longtemps prêché dans le désert, il semble que certains médias me donnent raison, enfin.
La communauté est le préalable à toute stratégie d'abonnement et même de monétisation, comme je le répète depuis longtemps.
Médiapart a pris une avance considérable en lançant la sienne il y a 15 ans et surtout en la maintenant. Ce, contrairement aux médias gratuits qui ont progressivement fermé leurs commentaires et leurs espaces interactifs à partir de 2016.
Pourtant l'avènement du modèle payant dès 2017 aurait dû entraîner leur mutation, pas leur disparition car cette fonction sociale est un vecteur de recrutement et de fidélisation formidable.
L'Equipe, l'a bien compris, lui qui a décidé de revivifier ses commentaires via un relooking (ci-dessous :). Mieux encore, les espaces interactifs du site sportif permettent un échange entre abonnés mais aussi avec la rédaction. C'est une attention à laquelle les lecteurs sont sensibles.
Idem pour Les Echos qui ont revu leurs espaces contributeurs. Et qui ont compris que la valorisation des lecteurs était aussi un puissant facteur de fidélisation, voire d'acquisition.
5. Echange des contenus et services contre des data
Propose du biscuit à échanger aux visiteurs contre leurs données personnelles : quiz, tests de personnalité, newsletters, livres blancs, podcasts…
Certains outils marketing comme Actito proposent ce genre de fonctionnalité éditoriale pour aller chercher de l'inscription (et donc de la data utilisateur).
6. Teste les prix pour optimiser les revenus
Le Monde a abandonné ses anciens prix qui freinaient non seulement l'acquisition, mais surtout la croissance de ses revenus. L'ancienne gamme de prix :
Pour ce faire, Lou Grasser a travaillé avec les data-scientist du Monde pour mettre en place un modèle prédictif à partir de l'analyse des données d'abonnement et de churn (attrition) de l'ensemble de sa base.
Il fallait éviter que les nouveaux tarifs ne se cannibalisent entre eux. On se souvient de l'offre bradée du New York Times de l'application Now à 8 $ qui avait attiré des abonnés qui payaient beaucoup plus.
Le groupe a tout analysé : l'impact des prix sur le churn des abonnés, sur le recrutement des nouveaux, sur le revenu. Résultats : les trois tarifs à 9,99 (web), 19,99 (2 comptes) et 29,99 euros (4 comptes) sont les plus rentables.
Ce que Le Monde a appris par ses tests et l'analyse de ses modèles prédictifs :
- La promotion sur le prix annuel n'est pas si maligne car elle va cannibaliser les fans, sans toucher les opportunistes
- Il vaut mieux proposer une réduction au mois (avec promo d'un mois par an, pas deux)
- L'offre à 5 euros (-50%) n'est pas rentable, car si elle recrute mieux que celle à 10 euros, elle ne génère pas assez d'abonnements pour compenser le gain moindre
- L'offre étudiante n'était pas assez mise en avant, alors que 7 fois plus cliquée que les autres
Autres enseignements :
- il faut soigner la page des offres pour montrer plus que dire. D'où la mise en place d'un carrousel qui affiche les contenus les plus vendeurs.
- Il faut aussi diversifier les prix et modes de paiement à l'international (notamment en Afrique)
7. Monétise déjà bien ton audience avant de chercher à en acquérir une nouvelle
Chez Prisma, on ne manque pas de données utilisateurs. Le groupe totalise 18 millions de comptes connectés via le SSO Maison (Prisma Media Connect) et un tiers est inscrit à une ou plusieurs newsletter.
Google one tap sur Chrome est le premier vecteur d'inscriptions du groupe. L'astuce : Prisma recible ces utilisateurs pour les inviter à s'inscrire à une newsletter (et récupérer un login “maison”).
Mais tout le monde ne pourra pas être converti en abonné. Si Prisma convertit 0,5 à 1% de son audience via les paywalls, ce sera une belle réussite, estime Dorothée Fluckiger.
L'objectif de ces données est donc triple :
- Attirer le bon lecteur vers le bon circuit CRM : conversion en abonné, valorisation par la publicité, affiliation du e-commerce
- Augmenter le rendement publicitaire grâce au ciblage des utilisateurs qui sont connectés (+34% de RPM en moyenne si logué selon les calculs de Prisma)
- Economiser sur les campagnes d'acquisition payantes
8. Met en place une organisation efficace
Celle-ci doit être légère via des squads (petites équipes multi-métiers avec un chef de produit, un développeur, un commercial, un éditeur par exemple), alignée sur les mêmes objectifs, avec les mêmes incitations. Et qui s'entendent bien ! Cela permet de “prendre moins de café en off”.
Chez Ebra, Morgane Alimi nous explique qu'il y a un référent de centralisation, d'accompagnement des équipes puis une dizaine d'ambassadeurs dans chaque pôle.
Chez Prisma : les “lead sponsors” pilotent les chantiers et les tests auprès des différents métiers (marketing, data-analysts, Ux design, Dev, CRM…)
Aux Echos (inspiré du Wall Street Journal), l'organisation est matricielle et transverse par métiers et non par marque média :
- Pôle plateforme (HP sites, app') – commande des sujets
- Pôle audience engagement (distribution, search, RS), éditing
- Pôle visuel (éditions des photos, vidéos)
Idem chez Prisma, chez qui l'organisation matricielle s'appuie aussi sur des squads, pour être agile et rester proche du terrain.
L'astuce de Dorothée Fluckiger pour pouvoir mener tranquillement ses tests : être sous les radars en termes de coûts et faire valoir les économies réalisées au contraire.
En tâchant de “faire monter la mayonnaise” pour inciter les décideurs à investir plus massivement dans le marketing digital.
9. Active-toi très vite sur les résiliations
Les premiers jours de résiliation sont les plus importants, il ne faut pas traîner
70% des réabonnés se font dans les 7 jours suivant une résiliation nous apprend Romain Lhote.
Et les ex-abonnés ont 18 fois plus de chances de se réabonner que les membres et 324 fois plus de chances qu'un lecteur anonyme !
D'où le rôle crucial du Service Clients à qui il faut donner des billes : historique de chaque utilisateur, mais aussi guide de l'entretien. Pour ne pas proposer tout de suite une remise, avant de savoir quel est le problème.
- Le souci est-il éditorial ? Y a t-il des contenus, des newsletters qu'ils ne connaissent pas, possibilité de leur proposer des hors-séries.
- Est-ce la temporalité de diffusion ? Focus sur les alertes paramétrables, l'application gratuite, etc.
10. Invente un autre média pour une autre cible trop différente
C'est le cas de Retronews qui a créé un deuxième portail pour distinguer le grand public de ses clients B2B.
C'est une leçon valable pour d'autres médias. “Quelle probabilité , demandait quelqu'un du public, qu‘un jeune lecteur abonné au compte social du journal où l'on diffuse des vidéos courtes très fun, s'abonne au journal papier” ? Zéro ou pas loin.
La réalité est que le modèle d'information proposé pour la génération Z ou même les Millenium (celle d'après) n'est pas adapté, ni sur le fond, ni sur la forme. Il va falloir se réinventer plus radicalement si l'on veut attirer de nouveaux lecteurs.
Mais en attendant, il faut bien produire un canard qui – sauf exception – fait vivre la plupart des groupes de presse. Le papier représentait encore 80% des recettes de la presse en moyenne en 2023, selon Pierre Pétillaut DG de l'APIG.
11. BONUS TRACK. Teste et mesure ton action !!
Que ce soit en acquisition ou en rétention, le succès, comme dans Fame, ne se paye qu'en une seule monnaie : la sueur.
Il faut tout tester : les axes créatifs, les visuels, les prix, les avantages mis en avant, les canaux et timing de diffusion.
Pour L'Equipe cela représente plus de 300 messages de promotion des abonnements par an. Vous savez ce qu'il vous reste à faire. ^^