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18h39 : derrière la stratégie du média de Castorama

J’ai rencontré Emmanuel Chirache lors d’une soirée d’anniversaire. Nous étions assis de part et d’autre d’une grande tablée, plantée au milieu d’un jardin gigantesque. Il faisait doux ce soir-là, nous refaisions le monde avec quelques amis, quand il a glissé entre deux rigolades qu’il était Red’ Chef d’un “média de marque”. Je n’avais rien dit de mon activité, on était sur le point de lancer The Audiencers, il était 2 heures du matin : mes yeux se sont rouverts d’un coup.

Ce média c’est 18h39, et c’est l’enseigne de bricolage Castorama qui est derrière. Pourquoi une enseigne de bricolage lance-t-elle un média, en parallèle de son site e-commerce ? Que cherche-t-elle à accomplir, et dans quels buts ? En quoi le contenu sert-il la stratégie marketing et commerciale de la marque ? Et puis ça change quoi de bosser pour un média de marque, quand on a été journaliste avant ? Ce sont les questions que j’ai posées à Emmanuel quand nous nous sommes retrouvés quelques semaines plus tard, de jour et au calme. 

Emmanuel Chirache

Hello Emmanuel, peux-tu te présenter pour ceux qui n’étaient pas invités à la soirée d’anniversaire ?

Je suis d’abord un journaliste, j’ai fait l’école de journalisme de Marseille, avant de bosser pour la télé et faire des documentaires pour AgroParisTech, autour de l’environnement et la biodiversité. Puis j’ai participé au lancement de TimeOut à Paris, où je couvrais la culture et les sorties. TimeOut s’est arrêté au bout de 5 ans. J’ai alors cherché un poste de rédacteur en chef car je voulais des responsabilités et faire de la vidéo. Je n’avais jamais fait du média de marque, ils avaient une vraie ambition, une ligne éditoriale écolo, ils voulaient faire de la vidéo et mettaient les moyens, ça m’a attiré !

Peux-tu nous présenter 18h39, le média de Castorama pour lequel tu travailles ?

Alors déjà le nom du média vient d’une statistique de cet énorme bouquin sur le mode de vie des Français, La Francoscopie,  qui dit que les Français passent en moyenne 18h39 par jour chez eux. C’est fou, non ? Et évidemment, la tendance serait à la hausse après le Covid… 

L’explication du nom du média de Castorama : 18h39, ça correspond à quoi ?

Le média a été lancé en 2015, et est concrètement co-construit par Castorama et l’ADN Studio, qui est mon employeur. Dans l’équipe aujourd’hui on est 6 : 2 journalistes, 1 alternant écrivant, 1 vidéaste, 1 responsable réseaux sociaux et 1 rédacteur en chef. Nous avons tous fait une école de journalisme, et s’il y a parfois des exceptions, ce sont des gens qui ont voulu faire du journalisme au départ. Nous avons tous les attributs d’un média classique : une ligne éditoriale, des conférences de rédaction, mais pas que : le brand content est partie prenante de l’orga. Conférences avec les équipes Casto, interviews avec les experts, partage du planning avec Casto pour disposer des briefs, visuels et produits Castorama. On met notre savoir-faire journalistique au service des missions et de la vision de Castorama sur la maison.

Pourquoi ce média a-t-il été créé ?

L’objectif au départ était de travailler l’image de l’enseigne. On avait une ligne éditoriale très “écolo” pour le grand public et très large. On l’a récemment recentrée sur l’amélioration de la maison, inspirer les gens pour aménager eux-mêmes leur habitat, leur donner envie de passer à l’action avec les solutions que Castorama peut apporter pour améliorer la vie à la maison, l’accessibilité de ces solutions à tous, et toujours sur l’écologie, qui reste hyper importante.

18h39 a-t-il défini sa mission ?

Oui, au lancement c’était “Bien chez soi, mieux sur sa planète”. Et maintenant “Changer nous fait avancer”, qui est le nouveau slogan de Casto. On a pris en considération les multiples changements qui arrivent dans la vie de chacun, subis ou choisis (déménagements, arrivée d’un enfant…) et le rôle que l’on se donne c’est : accompagner ces changements, aider les gens à vivre leur vie rêvée (vivre à la campagne, vivre dans un van…)

Média de marque vs média d’information

Tu as un passé de journaliste puis tu es devenu rédacteur en chef d’un média de marque : qu’est-ce que ça change dans ta manière de travailler ?

Je dirais que globalement, ça fait qu’on a plus de travail. Le travail normal de chercher l’info, le fond, le style… et la coordination à faire avec Castorama qui prend du temps. Ça fait plus de contraintes, mais ce sont aussi des ressources différentes, et des opportunités : Castorama produit sa propre veille sur les sujets de la maison qui nous inspire, c’est aussi un vivier de ressources humaines, d’infos, de produits qui offrent des solutions à nos questionnements. 

Leur équipe nous aide à avoir des idées, des visuels, des témoignages, de la matière pure. On fait une réunion par semaine où on décide des sujets, on construit notre planning commun. Castorama nous dit “Voici les moments clés pour nous, que peut-on faire à partir de ça ?” Une fois qu’on a défini les sujets à produire, leur équipe nous fournit des idées d’angles, de produits pertinents, de services, parfois des prises de parole d’experts Casto, des appels à témoin chez les clients…

Les idées de la rédaction sont validées par Casto, mais pas toutes ! En réalité, c’’est validé de façon informelle via le calendrier de publication qui est rempli en amont. Si un sujet pose un souci, on en parle dès que c’est identifié par Casto. Sur les articles proposés par la rédac, la question c’est plutôt “Est-ce que Castorama a de la matière à mettre en lien ?” Globalement, Castorama intervient assez peu dans le contenu sauf quand ça la concerne directement ou que cela concerne l’un de leurs partenaires.

Évidemment, si on parle de produits Castorama, on fait attention aux commentaires produits sur le site, on choisit ceux qui ont de bonnes notes.

À qui reportes-tu : une direction de la communication ? Quels sont vos liens avec l’équipe Castorama ?

Je reporte au directeur éditorial de l’ADN Studio. Dans le timing du processus, c’est lui qui valide les KPI’s et les choix, mais toujours dans le but de les présenter à Castorama ensuite. Nous produisons des bilans hebdo, mensuels, parfois semestriels et annuels, avec des plans stratégiques à chaque fois. Castorama, c’est mon client, mais on a un lien historique assez fort. C’est assez beau d’être 2 équipes sur un même projet, où l’on co-construit en permanence. Ça plaît à notre équipe, elle se sent impliquée, elle est dévouée. Un lien très fort s’est créé avec l’équipe de Casto au fil du temps. Un lien de camaraderie, de collègues. Il n’y a pas de bras de fer, pas de lien de subordination, je trouve notre process intelligent.

L’impact business du contenu

Quels sont les indicateurs de performance de 18h39 que vous suivez ?

Au niveau quanti, on suit des KPIs d’audience classiques : pages vues sur le site, nombre d’abonnés et engagement sur les réseaux sociaux.

Concernant l’impact business de 18h39, on suit les clics sur les backlinks vers le site e-commerce Castorama. On fait bien la distinction entre les bannières pub et les clics sur les liens que l’on met à l’intérieur des papiers.

Chaque année, on a aussi un point sur le chiffre d’affaires des ventes faites sur le site e-commerce de visiteurs qui viennent de 18h39.fr. Mais évidemment, c’est du last click, et donc forcément partiel.

Au niveau quali, on a commencé en 2018 à lancer des études annuelles Opinion Way, qui cherchent à répondre à ces deux questions : “Avez-vous une bonne image de Castorama ET est-ce que vous avez envie de vous déplacer en magasin après avoir lu 18h39 ?” 

Elle nous sert à comprendre l’image perçue de Castorama chez notre cible, quelles valeurs et vertus particulières les gens lui attribuent, et aussi à recentrer notre ligne éditoriale, éventuellement créer de nouvelles rubriques sur le site. Bien sûr, la question qui sous-tend toutes les autres c’est “Les lecteurs de 18h39 sont-ils plus enclins à acheter chez Casto qu’ailleurs ?” Et le résultat est toujours très positif.

D’ailleurs, notre dernière étude nous a appris des choses intéressantes : les confinements ont beaucoup orienté les gens sur le web, et il ressort que le public connaît maintenant beaucoup plus d’enseignes de bricolage qu’avant. On comprend donc qu’on se retrouve dans un environnement plus concurrentiel qu’avant.

Utilisez-vous le média pour récolter de la data sur vos visiteurs et créer une base de leads ?

On a une pop-in pour l’inscription à notre newsletter, ainsi qu’un champ e-mail en footer. Mais si pas d’acceptation des cookies au niveau de la CMP, il ne se passe rien de particulier. Et le site est en accès libre total, les visiteurs ne sont pas contraints de donner leurs infos perso pour accéder à tout ou partie du contenu.

À quoi ressemble votre newsletter ? A-t-elle des objectifs particuliers ?

On est justement en train de la retravailler. Aujourd’hui on a une newsletter classique, dont on suit les taux d’ouverture et taux de clic. Elle sert à relayer des campagnes de Castorama, ses sujets et priorités marché du moment. On place beaucoup de bannières dedans. Via ce medium, le taux de rebond est assez faible, plus faible que la source réseaux sociaux. On met des formats plus rigolos, plus intimistes, pour fidéliser une audience et leur parler différemment. On l’envoie 1 fois par semaine.

Es-tu en charge du P&L de 18h39 ? Avec quels moyens, quali et quanti, justifies-tu le budget alloué à ce projet ? Et donc son ROI ?

Moi je n’ai la main que sur le budget de la production éditoriale (achats d’art, reportages vidéo) et sur le sponsoring de posts sur les réseaux sociaux. À ma connaissance, on ne fait pas de balance “Combien coûte le média / Qu’est-ce qu’il rapporte”.

Quel est le lien entre 18h39 et le programme de carte de fidélité Castorama ?

Pour l’instant, aucun lien entre les deux. Le site de 18h39 a été pensé comme un site d’image, il n’y avait pas d’idées de rentabilité derrière. Mais maintenant que cette étape est réussie, on réfléchit à lier le site e-commerce et le média, notamment parce qu’on se fait concurrence en SEO, et aussi pour optimiser les investissements. 

Quant à proposer du contenu spécifique aux membres Castorama, c’est à dire à ceux qui ont la carte de fidélité, ça paraît évidemment super intéressant, mais ce serait un gros boulot édito et technique, et ce n’est pas dans nos projets actuels.

Sais-tu si vos contenus sont utilisés par les équipes commerciales de Castorama d’une part, et leur équipe Satisfaction client d’autre part ?

En magasin, auparavant ça dépendait des chefs de rayon, s’ils nous connaissaient. Maintenant il y a des écrans dans les rayons, avec des vidéos qui viennent de chez nous, et des annonces au micro pour parler de 18h39.

Au niveau commercial, 18h39 est de plus en plus intégré dans les opérations com’ / partenariat avec des influenceurs, des blogueurs déco. Le média est considéré comme l’un des canaux des opés.

As-tu une idée de l’apport de 18h39 au modèle d’affaires de Castorama ? Si demain quelqu’un décidait de couper le projet, qu’est-ce que Castorama perdrait ?

Je dirais une communauté qui est devenue assez fidèle à 18h39, et qui par ricochet apprécie Castorama. C’est aussi un outil de communication souple et de qualité, pour mettre en avant des choses que les canaux classiques ont du mal à faire. On est le moyen idéal pour communiquer sur des sujets très actuels, avec des enjeux d’image très forts, en interne comme externe : RSE, marque employeur, développement durable, modernité de l’enseigne par rapport à son époque…

Selon toi, les stratégies de contenu sont-elles un moyen plus efficace et économique de générer des prospects et clients pour une marque que les leviers marketing classiques ? Si oui, en quoi ?

Les gens en ont marre de la publicité frontale, avec le sentiment d’être spammés par des marques en qui ils n’ont plus vraiment confiance. Le média est un moyen détourné de s’adresser aux gens, de manière plus noble, en les informant, ça donne une communauté bienveillante. Sur les réseaux sociaux de 18h39, les commentaires sont plutôt sympas, on ne se fait pas trop flinguer, ni trop embêtés par le SAV (j’ai pas reçu ma commande, etc.).

Le twist de départ c’était de prendre de vrais journalistes, de prendre du contenu exclusif qu’on ne voit pas ailleurs. Et cela a notamment permis qu’on soit repris par de grands médias. L’émission Quotidien a par exemple fait un sujet “désobéissance fertile” qui nous mettait en avant. Ce sont des RP qui n’auraient probablement jamais eu lieu sans 18h39…

En dehors du travail de l’image Castorama pour le public et vos clients, à quoi peut bien servir votre média de marque ?

Ce n’était pas dans les objectifs initiaux, mais on s’est rendus compte que 18h39 pouvait aussi être un porte-parole de la marque employeur, et un relais des activités RSE. Par exemple lorsqu’on fait des reportages vidéo sur les femmes qui bossent dans des rayons que l’on attribuerait aux hommes. Le sujet de l’inclusivité est très important chez Casto, qui est bien noté sur les indicateurs égalité hommes/femmes. Index sur égalité de salaires, Casto avait 93/100 en 2020. Objectif en 2023 de 45% de femmes dans l’encadrement/vente. Aujourd’hui c’est 28% dans la vente et 40% dans cadres et agents de maîtrise.