Quentin Franque enseigne la transformation digitale des médias à Sciences Po Paris. Il est également Directeur marketing et communication de l’agence Intuiti.
En novembre 2021, lors d’un aller-retour Nantes-Calais (c’est long !), j’expliquais pourquoi nous allions assister à une explosion de rachats de médias par des marques. Un an plus tard, en France, peu de rachats ont eu lieu. En revanche, je ne compte plus le nombre d’entreprises, comme Poool qui souhaitent lancer leur propre média. Cela, dans tous les secteurs, en B2B comme en B2C : design d’intérieur, immobilier, habillement, fabrications de composants notamment. Lancer un média de marque n’est pas une stratégie nouvelle. Par contre, il semblerait que nous soyons passés de l’exception à la norme.
Notoriété, visibilité et business : les 3 objectifs habituels
Peu importe l’ordre dans lequel ils sont données, les objectifs de notoriété, de visibilité et de business (génération de leads, création de comptes loggués, achats en ligne…) sont toujours cités par les personnes que je rencontre. Le directeur de la communication d’un grand industriel français m’expliquait ainsi qu’il fallait “avant tout partir de la Business Unit qui souffrait le plus d’un manque de notoriété et de résultats commerciaux” et bâtir le média autour de cette BU.*
L’objectif business n’est pas toujours aussi direct. Dans certains secteurs d’activité, notamment ceux dans lesquels les intermédiaires sont nombreux, influencer reste l’objectif n°1. Créer un média de marque donne une voix, comme l’explique Marie Hardy, responsable du média Le Comptoir de Malakoff Humanis :
“Le lancement de notre média avait un objectif clair : incarner l’expertise du groupe, avec des contenus pensés pour éclairer nos clients. Il est vu comme un service qui doit faire évoluer les pratiques.”
Le média sur lequel vous lisez actuellement cet article, répond bien entendu à ces objectifs. Prenons deux minutes pour décortiquer cet exemple. The Audiencers présente plusieurs avantages pour Poool :
- Se positionner comme l’un des principaux sachants sur son métier
- Créer de l’évidence lors de la décision d’achat. En B2B, nous rêvons tous de gagner les appels d’offres avant même d’y avoir répondu. Il y a plusieurs façons de “piper” ces appels d’offres, le média en est une.
- Centraliser les requêtes autour de sa problématique (une vision très SEO) pour un cible déjà connue : les directions numériques des médias
- Centraliser également des requêtes à venir sur un marché encore en construction, mais sur lequel Poool veut être une référence : tous les créateurs de contenus
Réduire les coûts d’acquisition, un objectif souvent caché
“Historiquement, l’industrie du jeu s’est concentrée sur l’acquisition de clients via une combinaison de génération de leads par des tiers et de publicité traditionnelle lorsque cela est autorisé. Ces dernières années, le modèle s’est en partie déplacé vers des partenariats plus impliqués avec des réseaux de diffusion linéaire […]. L’idée ici est simple : en multipliant les impressions de message, la marque renforce sa notoriété et accède finalement à de nouveaux clients. Dans le jeu de l’acquisition de clients, la baisse des coûts est reine. C’est là que Barstool s’intègre.” Dans un long article, l’analyste américain Will Hershey revient sur les raisons qui ont poussé la société de paris Penn National Gaming à racheter le média Barstool.
Ces dernières années, les mix-marketing ont évolué vers des visions court-termistes, avec un sur-investissement en fin de funnel. En clair, les enjeux de rentabilité sur le court terme ont favorisé les stratégies d’investissement en fin de funnel, plutôt que les stratégies de brand awareness. Sauf que les coûts explosent parce que…
- …la concurrence en fin de funnel est désormais féroce. Le nombre de clients en fin de funnel n’a pas cru aussi vite que le nombre d’acteurs qui investissent. Sur Google par exemple, là où trois annonceurs se battaient en truel (oui, on dit bien “Truel”) il y a cinq ans, ils sont désormais des dizaines, avec des acteurs aux enjeux de rentabilité moins rapides et aux moyens démesurés
- … les plateformes utilisées en fin de funnel sont souvent en situation de monopole ou de quasi-monopole.
Pour réduire leurs coûts d’acquisition, beaucoup d’acteurs reviennent actuellement vers davantage de branding. Je n’aurais pas le temps de creuser dans cet article mais, si le sujet vous intéresse, vous pouvez notamment :
Lire ce court article : Pourquoi l’équilibre entre branding et performance est-il si difficile à atteindre ?
Écouter Anaïs Harmant qui revient sur la méthode de ManoMano
Écouter Quentin Ory, co-fondateur des Mini Mondes, qui abandonne progressivement les investissements sur les plateformes au profit de son propre média
Revenons à nos moutons.
Si le média de marque permet une baisse du coût d’acquisition, pourquoi toutes les marques n’en lancent-elles pas ? Plusieurs réponses à cela. Premièrement, dans les plus grosses organisations, il faut du temps et l’observation de réussites pour changer les convictions, la culture et les modes de fonctionnement. On ne peut pas tous être des early adopters ! Deuxièmement, le média présente un bémol majeur: l’attribution. Là où il est très facile de suivre le ROI d’un investissement sur Facebook, il est beaucoup plus difficile d’attribuer l’impact d’un investissement sur un média de marque. Néanmoins, une vision globale, plus facile à mettre en place dans des petites organisations, y aide. Chez Intuiti, par exemple, après 3 ans du média Decriiipt, le coût d’acquisition a été divisé par 3 (si l’on prend uniquement le budget marketing) et par 2 si on y intègre les coûts RH qui se sont ajoutés depuis la création du média.
Et ce n’est pas tout !
Il existe encore d’autres raisons de créer un média de marque. Le sujet n’étant pas encore parfaitement mature, il m’arrive d’ailleurs de continuer à découvrir de nouvelles raisons pour lesquelles certaines marques ont lancé leur média. Les voici, en vrac.
Capter de la data first-party
La législation, qui accompagne l’évolution des usages des utilisateurs, accélère la transition d’un modèle “ads-based” à un modèle “content-based”. Avec le RGPD et d’autres mesures coercitives, les marques ont lancé depuis deux ans de nombreuses initiatives pour acquérir de la donnée zéro et first-party, et ainsi compenser le “brouillard” autour des datas third-party. Le média de marque est l’une de ces initiatives.
Se concentrer sur un levier d’acquisition simple
Le média de marque est l’anti-usine à gaz. De nombreuses organisations dépensent des sommes astronomiques pour simplifier les parcours clients, devenir customer-centric, être “omnicanales” . En réalité, ces budgets cachent souvent une complexité interne insensée. Certaines structures ont monté des stratégies d’acquisition qui, en pratique, ressemblent davantage à un bol de spaghetti qu’à une pièce montée… D’ailleurs, avec la guerre des talents actuelle, j’entends de plus en plus souvent parler d’organisation qui n’ont plus personne pour opérer des pans entiers de leur stratégie ou qui se rendent compte après quelques semaines que certaines campagnes tournent toutes seules depuis le départ de la personne responsable.
Aider au recrutement
“La chose qui m’a le plus surprise lors de mon aventure avec notre média est l’impact de ce média sur les futurs recrutements. Auprès des jeunes qui n’auraient pas forcément pensé à nous pour envoyer une candidature spontanée. Mais aussi auprès des dirigeants recrutés. Par exemple, parmi les dernières grandes patronnes recrutées, l’une d’entre elles avait décidé de postuler en lisant le média. Pour la petite histoire, elle était devenue ma N+2.”
L’ex-directrice de ce média de marque d’une grand groupe français partageait sa surprise sur l’impact sur la marque employeur de son média. Elle n’est pas la seule : Welcome to the Jungle ou la BPI sont deux exemples de structures ayant augmenté leur attractivité RH grâce au média.
Entrer en contact avec des cibles en les interviewant
En interviewant des personnes pour votre média, vous leur rendez un service : visibilité personnelle en vue d’un changement de poste, visibilité de son travail ou de son équipe auprès de leur direction ou d’autres équipes en interne, simple valorisation personnelle… Il y a de fortes chances pour qu’elles vous rendent la pareille.
De la différence entre un média classique et un média de marque
A toutes fins utiles, rappelons ici qu’un média de marque N’EST PAS un média.
Lorsque nous l’avions interrogé en préparation d’une conférence, Maxime Hanssen, rédacteur en chef de Challenges, avait expliqué la différence entre les deux types de médias :
“Un média traditionnel produit une information dont l’intérêt ultime est l’intérêt public. Un média de marque publie des contenus au service d’une stratégie d’entreprise, dont la finalité est de vendre un produit ou un service.”
Le média de marque reprend des éléments propres aux médias classiques. Sinon, il ne serait qu’un simple blog.
Comme un média classique, le média de marque cherche à…
- sur le fond : rendre un service, diffuser un travail de recherche et de croisement d’information
- sur la forme : offrir une récurrence de production et une certaine qualité visuelle
- sur la mission : à partager de l’information pour une cible, et non à parler de lui
Mais malgré ces caractéristiques communes, n’oublions pas que le média de marque a un objectif d’influence au profit d’une marque spécifique. Même s’il ne doit absolument pas parler à tout bout de champ de la marque, le média de marque agit dans son écosystème. A l’inverse, le média classique, même soumis à des logiques publicitaires contraignantes, produit de l’information pour ce qu’elle est. L’information est au cœur du business model d’un média classique. La marque, son produit ou son services est au coeur du business model d’un média de marque.
*Partir d’un besoin de notoriété pour une BU est une façon de construire votre média. Mais je recommanderai plutôt de partir de votre cible, de ses attentes, de ses problèmes. Dans le premier cas de figure, vous risquez de vous enfermer dans des thématiques hyper précises et qui tourneront beaucoup trop autour de votre produit. Dans le deuxième cas, certes vous parlerez peut-être de sujets annexes mais, au moins, votre média sera consommé. La rubrique RH de la newsletter Decriiipt que je coordonne est aujourd’hui celle qui génère le plus de clics. Depuis son introduction dans la newsletter, les taux d’ouverture ont gagné 3%. L’agence Intuiti, qui est derrière ce média, n’a pas d’activité RH, mais si cette rubrique augmente le taux de lectures des autres rubriques plus proches des métiers de l’agence, banco !
La newsletter The Audiencers : de professionnels, à professionnels
Envoyée toutes les 2 semaines, avec dedans des conseils concrets et applicables, des voix d’experts et des benchmarks inspirants, pour vous aider à mieux engager, convertir et fidéliser vos audiences.