Die Zeit : l’innovation comme culture, pas comme projet

Comment passe-t-on d’un journal national en crise à un groupe média de plus de 850 000 abonnés, 19 magazines, 130 événements et 27 podcasts ? Lors du WAN-IFRA World News Media Congress 2025 à Cracovie, Rainer Esser, CEO de Die Zeit, a partagé la feuille de route de cette transformation spectaculaire. Spoiler : tout commence par une culture d’entreprise où l’innovation est une responsabilité quotidienne, pas une option.

Cet article résumé en 5 points

  • Dans les années 90, Die Zeit perdait 5M€ par an. Aujourd’hui, le groupe vise 1,2 million d’abonnés, avec déjà 850 000 abonnés actifs ;
  • Leur stratégie repose à 100% sur la croissance organique : 600 journalistes, 19 magazines, 130 événements/an, aucun rachat externe ;
  • L’innovation est une responsabilité collective : les équipes ont lancé les podcasts dès 2015, en mode test & learn ;
  • Le modèle repose sur un écosystème éditorial rentable (print, numérique, audio, job boards, newsletters, verticales thématiques…) ;
  • Culture-clé : aucune séparation entre éditorial et business, droit à l’échec, responsabilisation rapide des jeunes recrues.

De la faillite à la croissance : 25 ans de transformation

Dans les années 1990, le journal est en crise : ventes en chute, équipes éditoriales déconnectées des lecteurs, aucune structure commerciale, 5 millions d’euros de pertes. Depuis, le groupe a :

  • quadruplé ses revenus ;
  • lancé 19 magazines ;
  • organisé 130 événements par an ;
  • embauché 600 journalistes (contre 100 à l’époque) ;
  • construit un écosystème complet autour de ses valeurs : confiance, qualité, orientation.

Aujourd’hui, l’objectif est clair : atteindre 1,2 million d’abonnés.

Début 2025, le groupe en revendique déjà 850 000, répartis entre son hebdomadaire papier, ses magazines, ses abonnements numériques et ses offres audio.

Un écosystème rentable autour du contenu

Le cœur du modèle reste les contenus éditoriaux — print et numérique — mais Die Zeit les entoure de multiples produits à forte valeur :

  • 19 magazines thématiques (campus, psychologie, finances, enfants, etc.) ;
  • verticales audio (27 podcasts, avec 20 millions de téléchargements mensuels) ;
  • événements B2B et grand public ;
  • job boards segmentés (académiques, purpose-driven, hauts potentiels…) ;
  • voyages, studio de production, newsletters premium.

La circulation atteint 636 000 exemplaires exemplaires papier, et la majorité des revenus digitaux sont rentables. À la manière du New York Times, Die Zeit développe désormais des verticales autonomes : après les jeux, la cuisine arrive, suivie de nouveaux formats audio.

5 principes-clés qui structurent la stratégie du groupe

1. Innover ou mourir

« Grow or die. » Pas de vision défensive. L’innovation est une obligation. Dès 2015, le CEO pousse ses équipes à se lancer dans le podcast. Résultat : Zeit Verbrechen devient l’un des plus écoutés d’Allemagne. Aujourd’hui, Die Zeit est le premier média en Allemagne à lancer un abonnement spécifique pour les podcasts.

2. Supprimer les murs entre la rédaction et les revenus

Plutôt que d’entretenir une guerre froide entre éditorial et commercial, Die Zeit mixe les équipes dès le lancement d’un produit. Le succès est collectif. Le CEO se voit comme garant des conditions de travail, et les journalistes participent activement à la croissance.

3. Accepter l’échec, préférer l’action

Quand un projet échoue, personne n’est puni. On analyse, on apprend, on recommence. Le podcast s’est lancé dans l’anarchie totale :

“Qui veut faire un podcast ? Levez la main.”

Certains formats n’ont pas marché, d’autres sont devenus des piliers du modèle.

4. Croissance organique uniquement

Die Zeit ne rachète pas de médias. Elle embauche, elle forme, elle crée. Chaque nouveau journaliste sert à développer une nouvelle offre : rubrique finances, contenus longs sur le sens de la vie, data journalism, lectures lentes…

5. Miser sur les jeunes talents

Le groupe recrute à la sortie des universités et confie rapidement des responsabilités. Une stratégie payante pour attirer les profils les plus créatifs et engagés.

Ce qu’on peut retenir pour d’autres groupes médias

  • Le découpage par verticales (Le Monde, NYT, Die Zeit) est un levier puissant de croissance incrémentale.
  • Pas besoin de rachat ou de levée de fonds pour croître : Die Zeit a tout fait en organique ;
  • L’innovation ne se décrète pas : elle se structure par la culture, les processus et le droit à l’échec ;
  • L’audio (comme chez Die Zeit ou The Telegraph) devient un moteur de conversion à part entière.