Après un parcours de chef de rubrique puis d'éditrice sur différents sites médias féminins (Psychologies, Doctissimo, Be, Parents…), Ada Mercier dirige depuis 2015 le Journal des Femmes (groupe Figaro CCM Benchmark).
Zombi (ou zombie) : du créole haïtien zonbi, désignant un mort sorti de sa tombe, soumis à un sorcier vaudou, au regard vide et sans volonté propre. On reconnaît parfois, à travers son masque sanglant, les traits déformés de la personne dont il a emprunté le cadavre. Comme nous l'enseignent moult films d'horreur, le zombie se déplace souvent en troupeaux compacts. Lorsqu'on réussit à en éliminer un, plusieurs se dressent immédiatement à sa place. Selon certains scénaristes, le zombie a ceci de commun avec le vampire qu'il se multiplie grâce à sa morsure, qui transforme à leur tour ses victimes en zombies.
Parfois – et de plus en plus souvent ces derniers temps, à mon grand désarroi -, lorsque j'examine la topographie du champ de bataille qui s'appelle la captation de l'attention de nos lecteurs, j'ai l'impression de débarquer au milieu des zombies. Certes, je rencontre toujours d'autres médias concurrents habituels. Certes, je découvre des nouveaux magazines en ligne qui se lancent à leur tour dans la bataille, essayant d'apporter une ligne différente, une écriture nouvelle, ou tout simplement une technique web plus poussée. Ils n'ont pas (encore) disparu. Mais ils sont progressivement noyés par des nouveaux sites qui n'ont d'éditorial que l'apparence, et qui dès la première lecture, génèrent immédiatement un malaise profond (ou une envie de rire très jaune, selon les articles et les moments).
Le cadavre qu'ils animent de façon grotesque ? Un vrai site éditorial mort et enterré depuis plusieurs années. Seul a été déterré son nom de domaine, dont l'antériorité permet au site zombie de se prévaloir auprès de Google et/ou de Facebook d'une sorte de carte d'identité factice pour entamer sa nouvelle existence de mort-vivant, et peu importe que ce nom trahisse sa première vie et soit en complète incohérence avec les publications actuelles du site.
J'ai ainsi récemment vu un blog de pâtisserie fournir sans relâche des astuces pour détartrer ses WC, un magazine sur les smartcities nous parler de “ce chien rose, aveugle et sourd mais si mignon”, un site de foot s'intéresser aux déboires des stars de télé-réalité, un autre sur “les mobilités douces” relater des faits divers sordides…
Au-delà de cette première dissonnance entre leur positionnement affiché par leur nom de domaine (voire leur home) et les thématiques réellement abordées dans leurs articles, tout sent la viande avariée dans ces publications.
Le style, d'abord.
On saute d'un paragraphe à l'autre sans transition, la cohérence des temps ferait frémir un instituteur de maternelle, certaines phrases n'ont même aucun sens si on essaie de les lire attentivement. Les illustrations et embed, ensuite, qui n'ont également qu'un rapport très lointain avec le sujet. Les liens, bien sûr, qui renvoient systématiquement vers d'autres articles internes, mais sur des ancres complètement aléatoires. Le fond, enfin, qui souvent ne correspond en rien à la promesse du titre accrocheur. Oh, en faisant notre examen de conscience, nous avons tous déjà un peu survendu nos articles, bien sûr… mais avez-vous déjà titré “12 astuces pour” quand votre contenu… ne comportait aucune astuce ? Avez-vous déjà écrit une histoire édifiante présentée comme réelle et récente… sans jamais préciser ni où, ni quand, elle a eu lieu ? (Disclaimer : si vous essayez de remonter aux sources, au mieux, vous trouverez une vague ressemblance avec un récit publié il y a trente ans dans la gazette d'un pays lointain. Au pire, c'est une légende urbaine complète).
La rédaction de ces “news” est-elle déléguée à des intelligences artificielles ? A des logiciels de traduction ? A des systèmes de paraphrase ? A des humains payés au lance-pierre via des plateformes internationales ? La vérité diffère sans doute selon les sites, et peut-être un mix de toutes ces sources est-il envisageable (à ce stade, l'intervention des Martiens est envisageable). Peu importe, au fond. Le point commun, c'est que tout indique que ces contenus ne sont pas vraiment destinés à être lus, de même que le sorcier vaudou ne cherche pas à dissimuler l'apparence répugnante de ses zombies. Ils font ce qu'ils sont destinés à faire : donner des coups pour gagner la bataille – en l'occurrence, capter des parts d'audience, quitte à décevoir ladite audience ensuite.
De même que le zombie surpassera toujours le guerrier humain grâce au fait qu'il n'a ni conscience de tuer ni peur de la mort pour lui-même, ces sites ont pour arme principale leur indifférence totale à toute notion d'éthique et de qualité. Trouver des sujets porteurs est plus simple si l'on se débarrasse de la contrainte inutile de la vérité ; publier en masse est moins cher si ce ne sont pas des vrais rédacteurs qui écrivent. Face à cette concurrence d'un nouveau genre, la tentation peut être grande pour les “vrais” sites média de finir par riposter avec les mêmes armes. Juste un peu, bien sûr. Juste de quoi atteindre les objectifs. En dégradant juste un peu la qualité. En s'arrangeant juste un peu avec la vérité.
Après tout, c'est sur internet – c'est moins grave, non ?
Les autres le font bien. On n'a pas vraiment le choix. On mettra ces contenus-là dans un coin… Attention, la pente est glissante : une fois mordus, les zombies redeviennent rarement humains.
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