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Editeurs de presse : les points clés du rapport Media Moments 2022

Que faut-il retenir de l'année écoulée quand on est éditeur ? Quelles clés pour commencer 2023 du bon pied ? En dressant un panorama des moments qui ont marqué le secteur des médias en 2022, le rapport Media Moments détaille les enjeux auxquels éditeurs et journalistes font face et propose des réponses, notamment au travers de précieuses études de cas. 

Derrière ce rapport en anglais, paru le 30 novembre 2022, et publié par Media Voices, podcast hebdomadaire britannique analysant les médias, il y a trois journalistes indépendants : 

Esther Kezia Thorpe, contributrice régulière de What's New in Publishing, analysant les médias et ayant travaillé pour Dennis Publishing et The Media Briefing

Peter Houston, spécialiste des médias à la tête d'une entreprise de conseil et de formation éditoriale Flipping Pages Media. Il a, entre autres, écrit des papiers pour The New Statesman, InPublishing et The Drum

Et enfin, Chris Sutcliffe, journaliste pour The Drum et producteur de contenu audiovisuel ayant également travaillé comme consultant chez The Media Briefing, notamment pour développer les offres numériques et print d'éditeurs.

Dans cet article, nous vous rapportons dans le détail (et la langue de Molière) les thématiques abordées qui intéresseront tout particulièrement les équipes marketing des éditeurs, à savoir : 

  • Presse locale : les outils à sa rescousse et espoirs de renouveau
  • L'échange de valeur, au coeur de l'
  • La , ce contenu long qui marche bien !

Et, en bonus, 3 autres thématiques de l'étude : 

  • Réseaux sociaux, une année chaotique : quelles conséquences pour les éditeurs ?
  • Comment regagner la confiance des lecteur.rices quand celle-ci s'étiole comme peau de chagrin ?
  • Comment faire évoluer la manière dont les journalistes couvrent la crise climatique ?

1. Presse locale : les outils tech à sa rescousse et espoirs de renouveau

Vous pensiez que la presse locale, à faible budget et petites équipes, était amenée à disparaître ? 

Les outils tech, appuyant les éditeurs dans leur travail, et la mise en place d'offres d'abonnement constituent, peut-être, deux nouvelles ailes permettant au phénix de renaître de ses cendres.

Concrètement, la presse locale, qui ne serait pas en mesure de développer des outils tech en interne, peut faire appel à des solutions externes pour l'accompagner sans avoir besoin de compétences techniques.

Esther Kezia Thorpe qui rédige cette partie de l'étude donne l'exemple d'outils d'envoi de newsletter tel que Substack. Certaines start-ups dédiées à l'actualité locale comme Axios Local ou 6am City ont percé en quelques années sur ce canal. 6am city, newsletter créée il y a 6 ans de cela peut désormais se targuer d'1 million d'abonnés sur plus de 24 villes.

Cependant, il ne faut pas attendre le million d'abonnés pour être rentable. En presse locale, il faut des abonnés… mais pas forcément beaucoup d'abonnés.

La viabilité économique s'appuie sur l'abonnement mais pas sur un nombre important d'abonnés.

Le marché des abonnements est particulièrement florissant pour la presse locale. En 2022, le revenu médian des éditeurs de presse locale a augmenté de 33% et cette augmentation est largement générée par les abonnements. 

Le rapport met donc en avant deux points clés : 

  • Tout d'abord, le contexte de marché : 

Les lecteur.rice.s sont prêt.e.s à payer pour la presse locale. En Finlande, par exemple, 39% de ceux qui paient pour de l'information paient pour des éditeurs locaux ou régionaux.

  • Ensuite, le fait que la viabilité économique s'appuie sur l'abonnement mais pas sur un nombre important d'abonnés.  

Esther Kezia Thorpe prend l'exemple de Downtown Albuquerque News dans l'état du Nouveau-Mexique, aux Etats-Unis, qui couvre une zone géographique de 30 000 habitants et est entièrement financé par ses lecteur.rice.s, sans avoir recours à la publicité ou au philanthropisme. Toutes les actualités sont envoyées par mail chaque semaine aux quelques 500 abonnés qui payent environ 10 dollars par mois. Aucun contenu n'est gratuit.

Les modèles d'abonnement permettant la viabilité financière d'éditeurs ne requièrent donc pas nécessairement un grand nombre d'abonnés. Esther le souligne avec un autre exemple, cette fois anglais : celui du Manchester Mill. L'éditeur de presse locale est devenu viable financièrement avec seulement 1 600 abonnés payants.

Néanmoins, malgré les espoirs suscités par la presse locale, il reste des défis à surmonter, notamment en termes de moyens.

Pour en savoir plus sur l'état de la presse locale, vous pouvez écouter le podcast de Media Voices (disponible en anglais seulement) : https://voices.media/has-local-news-justified-its-own-survival-the-state-of-local-news-in-2022/ 

2. L'échange de valeur, au coeur de l'abonnement

« Pour augmenter leurs revenus lecteurs, les éditeurs doivent mieux cibler leurs messages, leurs prix et leur offre de contenu pour convaincre leur audience que leur abonnement est celui qui vaut la peine d'être conservé. »

Conservé, car l'année a été difficile pour les éditeurs : selon l'INMA, 34 % des abonnements numériques ont été annulés cette année. Cependant, ce chiffre peut être mis en perspective car les abonnements ont continué de croître de près de 15% entre 2021 et 2022.

L'échange de valeur, que souligne Peter Houston, est bien sûr la clé de voûte d'une stratégie d'abonnement réussie et la valeur provient principalement du contenu fourni.

La rédactrice en chef de The Economist, Zanny Minton Beddoes, décrit le contenu de l'hebdomadaire britannique comme permettant à ses abonnés « de comprendre le monde grâce à des analyses pertinentes et exigeantes ». The Economist fournit un échange de valeur qui plaît : plus d'1,2 million d'abonnements présentement. Ces abonnements génèrent plus de 60% des revenus de l'éditeur.

Cependant, au-delà du contenu en lui-même, il s'agit aussi de la manière de le présenter. Anthony Ribeiro, consultant à Poool, souligne que le succès d'une stratégie d'abonnement tient souvent à la proposition de valeur.

Prenons l'exemple du pure player français Mediapart

La proposition de valeur de Mediapart figure clairement sur la page d'abonnement, en dessous de l'incitation à s'abonner : “le courage d'enquêter, le devoir de révéler”. Il s'agit donc d'un journalisme d'investigation, d'enquête qui repose sur un devoir moral : celui de mettre à jour ce qui doit être connu du public. La proposition de valeur différencie ainsi Mediapart d'autres médias d'actualité.

Travailler sa proposition de valeur ne s'applique néanmoins pas uniquement aux modèles d'abonnement : il en va de même pour les modèles de Registration. Selon Anthony, « il y a un manque de valeur offerte en échange de l'inscription ; il doit y avoir quelque chose que le lecteur ne peut pas obtenir ailleurs, comme pour un abonnement. »

Pour les contenus nécessitant l'inscription, la proposition de valeur tourne en effet habituellement autour de “créer un compte gratuit pour continuer à lire”. Les éditeurs peuvent faire mieux ! Ci-dessous, l'exemple de Pinterest montre une proposition de valeur travaillée, à savoir “l'accès gratuit et illimité aux meilleures idées du monde”, bien qu'il s'agisse d'un .

3. La newsletter, ce contenu long qui marche bien !

Selon Mark Stenberg, Senior Reporter pour Adweek, 2022 est l'année de la newsletter, ou plutôt l'année de la normalisation de la newsletter comme partie intégrante de toute stratégie éditoriale. Peter Houston nous explique les raisons de cette normalisation. 

D'abord, face à la surabondance d'informations, certains internautes choisissent d'éviter activement l'actualité, n'ayant pas envie d'être bombardé par un flot d'informations sur les réseaux sociaux. La newsletter a le vent en poupe car elle va à l'encontre de cette surabondance : il s'agit d'un contenu maîtrisé, synthétisé en un seul mail

Ensuite, la newsletter est un format pratique : selon 65% des participant.e.s au sondage du Digital News Report 2022, c'est même son avantage principal. 

En somme, la newsletter est un rempart contre un tsunami d'information (pour reprendre l'expression de Peter Houston) car elle arrive directement dans notre boîte mail avec des contenus préalablement sélectionnés pour nous.

Côté lecteur.rice, on en comprend donc l'intérêt, et côté éditeur aussi : la newsletter constitue un moyen de tisser une relation privilégiée avec le lecteur.rice en créant une habitude de consommation de contenu.

Données sur l'audience 

La newsletter permet à l'éditeur de collecter des données first-party. Les cookies tiers étant amenés à disparaître, les adresses mails constituent alors une solution pour cibler les audiences.

Concernant la monétisation, les newsletters payantes ne semblent pas prendre, exception faite des Etats-Unis. Selon une étude du Reuters Institute de juin 2022, 7% des Américains seraient prêts à payer pour une newsletter contre 1% en Allemagne ou en Australie ; la révolution “Substack” reste donc un phénomène principalement américain. Néanmoins, une newsletter réservée aux abonné.e.s peut faire partie d'une offre d'abonnement. De Quartz au New York Times, en passant par le Financial Times, de nombreux éditeurs mettent en avant une newsletter réservée aux abonné.e.s dans leurs offres, ce qui, du point de vue de l'éditeur, aide fortement à fidéliser ses abonné.e.s. 

Toujours sur le front de la monétisation, Mark Stenberg estime que la publicité augmentera vraisemblablement sur les newsletters et que, de ce fait, émergeront des versions gratuites et des versions premium des newsletters distribuées.

Créer un contenu qui génère de l'engagement : rédacteur.rice.s spécialisés et contenus originaux

Après un pic en 2021, les newsletters rédigées par des créateur.rice.s solos connaissent une baisse, en partie due au fait que les médias traditionnels font appel à des équipes spécialisées sur les newsletters et embauchent des rédacteur.rice.s qui y sont exclusivement dédié.e.s. The Atlantic a, par exemple, intégré des rédacteur.rice.s pour sa newsletter avec une prime distribuée lors de d'inscrits en abonnés. L'éditeur a néanmoins été forcé de revoir ses ambitions de conversion à la baisse et a étendu les contrats de ses rédacteur.rice.s pour mieux comprendre l'impact des newsletters sur la des abonnés.

Générer de l' passe aussi par la création de contenus originaux. Le Guardian a développé une newsletter regroupant des contenus allant de la tech au football féminin, et décrit cette initiative comme ce qui se rapproche le plus d'un journal papier. Leur objectif est de fournir “le genre d'informations que les lecteur.rice.s souhaiteraient partager à leurs ami.e.s dans un bar”. 

Mesurer l'engagement : les bonnes pratiques

Selon une étude menée par Hubspot en septembre 2022 auprès de 300 éditeurs, la mise à jour d'Apple sur la confidentialité, annoncée en juin 2021, a complexifié la collecte de données pour plus de 50% des sondés, obligeant les éditeurs à trouver d'autres moyens de mesurer l'engagement que les taux d'ouverture et de clics

Etude de cas : changement de , quand le Financial Times troque taux d'ouverture contre sondage des lecteur.rice.s

Le FT produit plus de 40 newsletters et les considère comme “cruciales” pour générer de l'engagement et acquérir de l'audience. Selon une de leurs études, 11% des abonnés engagés ne le seraient pas sans la newsletter. Difficile, cependant, de mesurer l'impact d'un email sur l'ensemble de leur stratégie. 

La mise à jour d'Apple a accéléré leur changement de pratiques : ne pouvant plus se fier aux taux d'ouverture pour estimer la réussite de leurs newsletters, le FT a décidé de donner la parole aux lecteur.rice.s en les sondant.

Comment fonctionnent leurs sondages ?

Les lecteur.rice.s donnent leur avis en un seul clic en fin de newsletter, c'est-à-dire après l'avoir lue. Iels attribuent une note de 0 à 5 à la newsletter, qui contribue à la note de satisfaction finale allant de -100 à +100.

A cela s'ajoute un sondage plus détaillé, qui prend 5 minutes à compléter. Pour encourager les réponses à ce sondage, le FT organise chaque mois un tirage au sort et récompense un.e lecteur.rice qui a rempli ce sondage avec un coupon de 100 euros, à utiliser pour acheter des livres.

Le FT peut se targuer de plus de 78 000 réponses à ses sondages depuis leur lancement en mars 2022. L'éditeur utilise les informations récoltées pour retravailler le contenu produit et compte mobiliser de nouveau les 9% de participant.e.s les plus engagés (le pourcentage de participant.e.s qui dit se porter volontaire pour répondre à d'autres sondages à l'avenir) pour conduire des recherches qualitatives. 

Et, pour conclure, les newsletters en quelques chiffres marquants :

  • 53% des inscrits newsletters le sont chez des médias traditionnels selon une étude du Reuters Institute menée en 2022 sur 10 pays (USA, UK, Irlande, Belgique, Norvège, Japon, Allemagne, Corée du Sud, Inde, Australie)

4. En bonus, les conclusions du rapport sur les réseaux sociaux, la confiance dans les médias et la couverture journalistique de la crise climatique. 

  • Réseaux sociaux, une année chaotique : quelles conséquences pour les éditeurs ?

Côté réseaux sociaux, sans surprise, l'année a été mauvaise pour Meta et Twitter.

Meta a, en février 2022, perdu des utilisateurs pour la première fois de son histoire et perdu plus 9.4 milliards de dollars en à peine 9 mois à cause du metavers. Côté éditeurs, Meta a annoncé en juillet dernier qu'ils arrêteraient de payer les éditeurs américains pour du contenu mis en avant dans leur onglet “Actualités”. Les gros contrats passés avec des éditeurs comme le Wall Street Journal (10 millions de dollars), CNN (3 millions de dollars), le NYT (20 millions de dollars) ne sont donc plus d'actualité…

Avec le rachat de Twitter par Elon Musk pour 44 milliards de dollars en octobre 2022 et le plan social qui s'en est suivi, licenciant la moitié de ses employés, la situation de Twitter est devenue critique. De nombreuses questions se posent également quant aux priorités de Musk sur le développement produit : la fonctionnalité newsletter, Revue, sera par exemple supprimée dès le 18 janvier 2023. Twitter est donc source d'inquiétude pour les éditeurs et journalistes qui ont développé une large audience de followers, désormais menacée par l'instabilité du géant aux ailes bleues. 

Avec 1.2 milliard d'utilisateurs actifs mensuels, Tiktok s'est positionné comme une plateforme incontournable. Les éditeurs, comme le Sydney Morning Herald, s'y sont fait leur place, notamment avec des contenus révélant les coulisses des rédactions journalistiques ou des faces caméras qui marchent mieux que des vidéos d'actus standard.

  • Confiance dans les médias : comment la regagner quand celle-ci s'étiole comme peau de chagrin ?

La triste réalité est là : selon le Digital News Report 2022 (DNR), 7 personnes sur 10 craignent que les journalistes ne leur mentent. Après un regain pendant la période Covid, la confiance dans les médias est en chute libre ; crise globale, polarisation politique et fake news obligent. 

Changer de mode de narration journalistique peut permettre de reconstruire cette confiance. Les journalistes doivent éviter le sensationnalisme et revoir le vocabulaire utilisé. Selon une étude néozélandaise publiée en 2022 dans PLoS ONE, depuis 2000, les titres d'articles reposant sur des émotions négatives comme la colère ou la peur ont respectivement augmenté de 104% et 150% aux Etats-Unis. Cette augmentation s'explique notamment par la course aux clics qui rend le lecteur.rice plus enclin.e à cliquer sur un titre qui fait appel à des émotions négatives. 

La start-up américaine 1440 fournit un exemple de ce changement de mode de narration et de sa réussite auprès des lecteur.rices. Le média concentre sa proposition de valeur autour de la valeur et de la véracité de ses actualités en définissant sa newsletter comme “your daily non-clickbait news briefing”, c'est-à-dire comme une actualité qui ne repose pas sur du clickbait (à savoir sur une “arnaque” qui poussent les utilisateur.rice.s à cliquer). Plus largement, 1440 définit son média comme non-biaisé, “best unbiased news source”.

  • Couverture journalistique de la crise climatique : comment faire évoluer la manière dont les journalistes traitent l'information ?

La crise climatique semble concentrer deux défis principaux pour les journalistes : tout d'abord, il s'agit de prioriser le climat dans le calendrier rédactionnel et ensuite de changer la manière de parler du sujet. Le premier objectif signifie privilégier les effets long-terme du climat sur des actualités court-terme et, donc sur un contenu à priori, plus vendeur. Le deuxième objectif est d'assurer une pertinence et une justesse de cette couverture médiatique. Un article du Guardian de mai 2022 a, par exemple, critiqué les photos de “vacances au soleil” qui illustrent bien souvent des articles sur la canicule : pour que les lecteurs se rendent compte de la gravité de la crise climatique, les images que l'on met en avant doivent changer

Chris Sutcliffe souligne également le rôle des collectifs de journalistes, comme le Oxford Climate Journalism Network ou le Centre for Journalism Innovation and Development qui font évoluer la manière dont l'information climatique est traitée. Le Centre for Journalism Innovation and Development, un média nigérian à but non-lucratif, a, par exemple, mis en place un programme de 3 mois pour former 16 journalistes africains afin d'améliorer la manière dont ils couvrent la crise climatique et d'en faire des ambassadeurs au sein-même de leur rédaction.

Retrouvez ici l'intégralité du rapport de Media Voices (en anglais).

 

This piece has been written by Laure Kesler