Mark est Senior Media Reporter pour Adweek à New York, où il couvre le secteur des éditeurs numériques. Il travaille sur des sujets comme l'ad tech, les solutions d'identité, l'audio et le podcasting, les événements, les newsletters et les stratégies éditoriales. Ancien journaliste chez Business Insider, où il couvrait l'industrie des médias, il vit actuellement à Brooklyn, New York.
Lorsqu'ils se plaignaient de devoir payer pour lire un article, je leur disais que les médias abandonneraient les paywalls dès lors que les entreprises pour lesquelles ils [mes amis et ma famille, NDLR] travaillent commenceraient à donner leurs produits gratuitement. Et, après avoir asséné tant de fois cette répartie, j'avais le sentiment d'avoir fait ma petite part pour changer le monde, en ayant convaincu une demi-douzaine de personnes de payer pour l'actualité.
Mais, de temps à autre, une petite bulle de contestation renaît, toujours sous la forme de cette même question maudite : « Pourquoi je ne peux pas payer pour l'article ? » se lamentent les contestataires. « Je le ferais volontiers. »
Heureusement, comme c'est loin d'être mon premier rodéo, je garde désormais un article sous la main, prêt à être partagé lorsqu'une telle réfutation fait surface : « Why micropayments will never be a thing in journalism« , de la Columbia Journalism Review.
La raison pour laquelle j'ai choisi de partager cet article, plutôt que de m'expliquer, est que la logique est… délicate. Les micropaiements, ou autrement dit le système par lequel les lecteurs paient par article à l'unité, ne fonctionne tout simplement pas. En cause : un réseau complexe de psychologie du consommateur et de macroéconomie.
Par exemple, contrairement à ce qu'il se passe lorsque vous achetez votre jambon-beurre dans votre boulangerie préférée, lorsque vous payez pour un article, vous ne savez pas à l'avance si vous allez l'aimer ou non, ce qui veut dire que vous avez dépensé votre argent sur un pari. Une fois que vous avez payé pour l'article, vous vous attendez alors à ce qu'il soit à la hauteur de la somme que vous venez de dépenser. En d'autres termes, imaginez, par exemple, la pression mise derrière un petit article de blog pour vous impressionner…
Résultat ? Vous trouverez probablement que l'article en question ne justifiait pas votre argent, ce qui vous découragera de recommencer.
Ainsi, ce qui, au départ, semblait être une solution potentielle au problème du paywall a pour effet involontaire de réduire la probabilité que le consommateur paie à l'avenir.
Le modèle économique des éditeurs peut se résumer ainsi : tandis que les éditeurs gagnent une misère grâce aux revenus publicitaires avec un utilisateur gratuit, ils gagnent vraiment de l'argent avec un lecteur qu'ils convertissent en abonné. Ainsi, après avoir fait le calcul, les éditeurs se rendent compte que si leur paywall rejette 19 lecteurs mais en convertit 1, ce nouvel abonné génère toujours plus de valeur vie (CLV) que les 19 utilisateurs gratuits. Si les éditeurs proposent le micropaiement comme alternative, en laissant les lecteurs payer une petite somme pour un seul article, ils se heurtent au problème décrit ci-dessus et perdent l'occasion de transformer ce lecteur en abonné.
Pourtant, si j'écris cet article, c'est parce que les micropaiements semblent pouvoir réussir.
Même les explications sur les raisons de leur échec sont truffées de points faibles. Les éditeurs ne préféreraient-ils pas gagner 2 dollars grâce à un micropaiement, plutôt que de perdre complètement le lecteur ?
Le rasoir d'Occam [principe de raisonnement philosophique basé sur le rationalisme, NDLR] maintient le rêve des micropaiements en vie, mais il respire à peine, il n'est jamais tout à fait éradicable, mais il n'est jamais entièrement réalisable. Les micropaiements sont, dans le monde de l'édition, une sorte d'Eldorado : toujours en attente, jamais en vue.
Même lorsqu'ils échouent, leurs partisans, tels des marxistes optimistes, insistent sur le fait qu'il s'agissait simplement d'un problème de mise en œuvre. Et tous les deux ou trois ans, comme une horloge, un éditeur farfelu invente une nouvelle façon d'essayer les micropaiements, et ils échouent toujours. Comme j'aime cette industrie !
Mais je me demande (c'est là que vous vous dîtes « Oh non, il est sur le point de proposer une nouvelle méthode de micropaiement ») si les micropaiements ne sont pas, en réalité, un exemple malencontreux d'une idée intéressante. Il existe peut-être d'autres options de paiement que les éditeurs pourraient proposer à leurs lecteurs.
Le kiosque à journaux
Si vous demandiez à mon père, il vous dirait que les éditeurs se privent d'une source de revenus en snobant le bon vieux kiosque à journaux, cet élément indispensable pendant les grandes heures de la presse écrite, aujourd'hui devenu vestige.
Parenthèse pour les jeunes lecteurs : les kiosques à journaux sont des kiosques physiques, tenus par de vraies personnes, où les passants occupés pouvaient feuilleter un assortiment de journaux, de magazines et autres. Imaginez les points relais des aéroports où vous achetez des chewing-gums, mais éparpillés dans les coins des grandes métropoles.
Dans ces kiosques, les consommateurs peuvent acheter des journaux et des magazines à un prix élevé – 14 euros pour un magazine dont l'abonnement mensuel coûte 9 euros. Mais pour ces acheteurs ponctuels, le léger surcoût vaut la commodité et l'absence d'engagement.
Pourquoi l'économie devrait-elle fonctionner différemment sur Internet ? Un “passant numérique” n'a pas plus envie de s'abonner à un journal en ligne qu'un passant lambda à de la presse écrite lorsqu'il se rend dans un kiosque à journaux, et pourtant nous ne lui donnons pas d'autre choix : il peut soit s'abonner, soit renoncer à lire.
Bien sûr, dans le cas d'un journal ou magazine papier, le consommateur achète un ensemble d'articles plutôt qu'un seul article. La comparaison n'est donc pas parfaite.
Mais il existe une solution simple : Pourquoi ne pas donner au lecteur numérique, pour 15 euros par exemple, l'accès à un nombre illimité d'articles sur le site web pendant une semaine, voire un mois ? Appelez cela un paiement d'accès mensuel (PAM).
« PAM »
L'éditeur génère presque le même montant de revenus immédiats que s'il vendait un abonnement, mais le consommateur n'a pas d'engagement l'obligeant à continuer de payer.
Vous êtes peut-être comme moi : lorsque je capitule et m'abonne à une publication juste pour lire un article, la première chose que je fais après avoir terminé l'article est d'annuler l'abonnement. J'en ai déjà trop, alors je le fais tout de suite pour ne pas oublier.
Parfois, si je me sens un peu plus généreux, je ne me désabonne pas immédiatement. Je garde alors un œil de lynx sur le site pour voir combien de fois je le visite et attends ainsi la preuve que je n'ai pas besoin de l'abonnement. Puis je me désabonne.
Dans un cas comme dans l'autre, la pression immédiate exercée pour que je m'abonne me force à adopter une mentalité défensive, à me désabonner immédiatement ou à forcer le média à me prouver, sans l'ombre d'un doute, que j'ai besoin de l'abonnement. Cet état d'esprit n'est pas propice à l'abonnement.
Imaginez qu'au lieu de ressentir la pression de m'abonner, je considère le paiement que je viens de faire comme mon plaisir du mois. Je consulte autant d'articles que je le souhaite au cours du mois, tout en sachant que mon essai prendra bientôt fin de lui-même, sans que je n'ai à effectuer une démarche.
Si j'en avais envie, je pourrais payer pour un autre PAM. Après avoir payé 15 € pendant un mois ou deux, je pourrais décider qu'un abonnement en vaut la peine et m'abonner pour 12 €, faisant ainsi passer la décision de s'abonner pour une bonne affaire, ce qui devrait être le cas !
Les abonnements étaient autrefois le meilleur rapport qualité-prix pour les grands lecteurs ; aujourd'hui, nous les imposons à tous ceux qui veulent lire quoi que ce soit.
Le contre-argument à ce raisonnement est le suivant : lorsqu'un utilisateur s'abonne, il faut lui laisser le moins d'occasions possibles de se désabonner. Les paiements d'accès mensuels signifieraient que le lecteur devrait choisir de payer le produit à plus d'une occasion, ce qui donne donc au lecteur de multiples occasions de reconsidérer son choix.
Mais vendre un abonnement à un lecteur et prier ensuite qu'il oublie qu'il s'est abonné est le signe d'un modèle malsain. Si le consommateur a l'impression d'être contraint de s'abonner prématurément, c'est parce que c'est le cas. En supprimant la menace de paiements continus, un PAM transforme le temps que le lecteur passe avec le contenu en un véritable divertissement, plutôt qu'en une hache suspendue.
De plus, en faisant payer le lecteur plus cher pour le paiement de l'accès que pour l'abonnement, l'abonnement devient le moyen financièrement responsable de continuer à profiter du contenu, ce qui donne l'impression que s'abonner est une décision intelligente.
Envisagez les alternatives
La tarification en kiosque n'est qu'un exemple parmi d'autres modèles de tarification que les éditeurs devraient tester. Elle a fait ses preuves, avant le numérique ; sa mise en œuvre est donc moins risquée.
Il existe également d'autres méthodes, plus expérimentales, qui peuvent s'avérer intéressantes. Elles vont à l'encontre de la logique décrite ci-dessus, dans la mesure où leur objectif final est de susciter des abonnements chez des lecteurs qui, normalement, rechigneraient devant le prix.
Par exemple, dans un article récent, j'ai fait part de résultats suggérant qu'une réduction très importante du prix d'un abonnement annuel pourrait être rentable. Lorsqu'un lecteur s'abonne à un média pour un an (un an, pour l'amour de Dieu !), le média fait alors partie de son paysage, de sa vie quotidienne.
Une fois que le lecteur s'est habitué à cet abonnement, il est beaucoup moins susceptible de se désabonner. Ainsi, le fait d'engager quelqu'un pour un an, même si vous réduisez vos marges bénéficiaires au départ, peut se traduire par une valeur vie client plus élevée, car les taux de désabonnement d'un tel abonnement sont plus faibles.
En prolongeant cette logique, en plus de réduire le prix d'un abonnement annuel, les éditeurs pourraient envisager de vendre des abonnements pluriannuels. Ces abonnements attireraient les fans inconditionnels qui s'abonnent de toute façon année après année, car ils économiseraient vraisemblablement de l'argent sur le prix réduit. L'offre sur plusieurs années réduirait également la probabilité qu'ils se désabonnent.
Brader les abonnements pluriannuels, même s'ils se vendent à perte, pourrait s'avérer être une stratégie payante à long terme. Là encore, ces lecteurs s'habitueront tellement à avoir accès au média que leur taux de résiliation sera quasiment nul. En pratique, cela pourrait ressembler à 15 euros par mois, 50 euros par an et 80 euros pour deux ans. L'éditeur recevrait de la trésorerie, il gagnerait de l'argent grâce à la publicité vendue au lecteur, et il intégrerait une clause d'engagement qui permettrait à la valeur vie client de battre des records de longévité !
Tout ou rien
Je peux dormir sur mes deux oreilles, persuadé que je suis que les plus grands cerveaux de notre génération travaillent d'arrache-pied pour essayer de trouver un moyen de faire tourner la machine à abonnements, et peut-être que ces idées sont toutes financièrement farfelues.
Mais derrière le système de micropaiement, il y a l'idée qu'il devrait y avoir d'autres moyens de payer des contenus qui soient plus pertinents que ceux que nous essayons. Vous ne devriez pas avoir à vous abonner à un média chaque fois que vous voulez lire un de ses articles. Vous ne devriez tout simplement pas !
Comme dans toute relation saine, subir de la pression pour s'engager de manière trop importante trop tôt dans la relation est un signal d'alarme. L'industrie des médias agite ce signal d'alarme comme s'il s'agissait de Santa Anna (cette référence est réservée aux habitants de San Anton). Nous pouvons sûrement penser un système qui évite d'inciter les lecteurs à s'inscrire pour une expérience d'un mois alors qu'ils ne veulent lire qu'un seul article.
Ou, si vous êtes déjà abonné ou si vous envisagez de le faire, vous devriez être récompensé de votre fidélité par des réductions sur le prix d'abonnement. Les médias devraient proposer des formules d'abonnement moins chères et plus longues que les modèles actuels.
Quoi qu'il en soit, les consommateurs devraient avoir plus d'options que l'option binaire – s'abonner ou ne pas s'abonner – qu'ils ont actuellement. Ils doivent se sentir responsabilisés dans leur décision, et non pas intimidés, et il doit exister des modèles qui le permettent.
Dans ce cas, peut-être que les micropaiements ne sont pas une si mauvaise idée…