

Au World News Media Congress WAN-IFRA à Cracovie, trois médias — OKO.press (Pologne), La Marea (Espagne) et la newsletter « What Happened Last Week » (Allemagne) — ont partagé leur stratégie et leurs doutes autour des dons ponctuels et de l’abonnement comme modèles économiques viables et éthiques.
1. OKO.press : la donation au cœur du modèle

Média d’investigation sans publicité ni paywall, OKO.press fonctionne depuis 9 ans avec un modèle basé à 65–70 % sur les dons individuels, malgré un taux de conversion faible, quoique plus élevé que les moyennes auxquelles nous sommes habitués dans le monde de l’abonnement : environ 0,4 % de leurs 2 millions d’utilisateurs uniques mensuels. Le site distingue dons ponctuels et dons réguliers : ces derniers sont privilégiés pour la stabilité qu’ils offrent, mais les dons ponctuels jouent un rôle clé dans le tunnel de conversion. En avril 2025, 6 % des dons étaient ponctuels, contre 34 % de réguliers…
Leur stratégie repose sur un mix solide de marketing, technique (choix de l’outil européen TakTak pour le recueil des dons) et d’éditorial : pas de manipulation émotionnelle, mais un message clair sur la mission du média. La campagne la plus stratégique de l’année repose sur le mécanisme fiscal polonais du « 1,5 % » : les citoyens peuvent allouer cette part de leur impôt à l’organisation de leur choix. Cela représente plus de 20 % des revenus d’OKO.press.
Le montant moyen des dons tourne autour de 35-40 Zloty (environ 8,5 euros), mais l’équipe craint avoir atteint un plafond sur l’audience « convertissable » et se demande s’il ne serait pas temps de lancer un paywall.
Pour s’inspirer : leur excellente landing page de demande de dons.

2. La Marea : la coopération avant tout

Lancée il y a 12 ans comme coopérative suite à l’échec du journal Público, La Marea reste l’un des rares médias espagnols à fonctionner grâce au crowdfunding. Environ tous les deux ans, l’équipe relance une campagne collective, souvent difficile (objectif atteint seulement deux heures avant la fin lors de la dernière levée), mais fédératrice. Les dons ponctuels annuels restent faibles (3 000 €), perçus culturellement comme de la charité.
En chiffres :
- 86,5% des donateurs font des dons réguliers vs 13,5% qui sont des donateurs ponctuels
- 83,6% des donateurs ne sont pas des abonnés
- 94,2% des donateurs ne donnent que lors des campagnes de crowdfunding (organisées tous les 2 ans)
Le média mise plutôt sur la transparence totale (comptes ouverts, refus de contenu sponsorisé) et la confiance de sa communauté. Un exemple récent : une campagne intitulée « Nous cherchons des humains » a généré de nombreuses réactions positives et même un don unique de 500 €.

En parallèle, La Marea développe des abonnements numériques à faible coût (semestre, annuel) pour encourager l’engagement durable de son lectorat

3. « What Happened Last Week » : du solo à la communauté
La journaliste d’origine Kurde Sham Jaff a lancé sa newsletter « What happened last week » il y a 11 ans pour couvrir les régions du monde ignorées par les médias occidentaux. Au printemps 2025, sa newsletter réunissait 29 000 abonnés.

Si elle a longtemps compté sur les dons ponctuels, elle les juge instables.
« J’écrivais avec un taux d’ouverture très élevé (70 %) mais sans savoir ce qui motivait les dons : le sujet ? le moment du mois ? la compassion ? »
Elle a donc lancé un modèle d’adhésion (« Very Important Potatoes ») à 79 € par an, ou 9€ par mois, plus durable, permettant de mieux planifier ses revenus.

Elle propose aussi des abonnements cadeau ou groupés. Son approche repose sur la co-construction éditoriale avec sa communauté (retours, enquêtes, suggestions de sources) pour bâtir une relation de confiance.

Dons ponctuels : quel rôle ?
Tous s’accordent à dire que les dons ponctuels ne sont ni suffisants ni insignifiants : ils peuvent initier une relation, mais restent difficilement interprétables en termes d’engagement réel. La clé : ne pas quémander, mais expliquer clairement la mission du média et les conséquences concrètes du soutien. Dominika Michalak (OKO.press) résume : « Il y a une différence cruciale entre demander et mendier ».
Enjeux communs : durabilité, technique et transparence
Si chacun a sa stratégie, tous partagent des principes fondamentaux :
- Technologie robuste : permettant les A/B tests, une excellente UX et un back-office de suivi des dons complet et facilement utilisable
- Narration honnête, sans pression émotionnelle artificielle
- Coopération entre médias : mutualisation, entraide, plateformes collectives
- Éducation douce du public sur les réalités économiques du journalisme